Porcelaine sur grès réalisé dans l'atelier personnel de T. Doat
1903
H: 24,5 cm
Porcelain on sandstone vase made in T. Doat own studio
1903
H: 24,5 cm
Décorateur-modeleur, sculpteur, ayant pris part dès 1879 aux Salons des artistes français et de la Société nationale des Beaux-arts, médaillé d'or à l'Exposition Universelle de 1889, Taxile Doat a participé avec grand succès à l’Exposition Universelle de 1900. Il a exposé au musée Galliera en 1907, au musée national de Céramique à Sèvres en 1931, souvent avec un grand nombre de pièces. Actif à la Manufacture de Sèvres de 1877 jusqu’à sa retraite en 1905, il fut un grand spécialiste des décors « pâte sur pâte » en porcelaine, il sut même mêler avec virtuosité porcelaine et grès sur une même pièce. Il fut l'un des premiers céramistes d’atelier, et sans conteste parmi les plus influents de son époque. Il a en outre documenté méthodiquement, pour la postérité, ses recettes et techniques du décor « flambé » (ou « flammé »), des émaux à cristallisations et des lustres métalliques, ainsi que ces fameux assemblages de porcelaine et de grès, dans une célèbre publication intitulée « Les Céramiques de Grand Feu », un traité pratique sur la fabrication de la porcelaine et du grès publié en anglais par Samuel Robineau en 1905.
Né à Albi en 1851, Taxile-Maximin Doat a découvert son goût pour la poterie lors de son emploi à l'Office des Postes et Télécommunications de Limoges, ville réputée pour la fabrication et le commerce de la porcelaine et de l’émail. Il a d'abord pris des cours sur place à l’école d’art Dubouché, puis il est parti étudier à l’École des Beaux-Arts de Paris. En 1877, il est engagé comme artiste par la manufacture de porcelaine de Sèvres. À partir de 1892, la direction de la manufacture lui accordera la possibilité d’ouvrir non loin son atelier indépendant, avec son propre four, d’abord rue de Bagneux à Paris (avec un four à houille), puis à partir de 1898 au 47 rue de Brancas (Villa Kaolin) à Sèvres, avec un four à bois qui lui permet d’améliorer les colorations de ses couvertes, et de pouvoir superposer avec plus de minutie la porcelaine sur le grès. S’il a pu réaliser pour la manufacture nationale environ mille pièces en porcelaine, il va expérimenter dans son propre atelier de Sèvres d’autres plus rares techniques d'émaillage du grès de hautes températures (environ 1350°C) directement héritées du Japon et de Chine. L’Exposition Universelle de 1900 va sonner l’heure de sa consécration publique et institutionnelle : en France, Le Musée des Arts Décoratifs à Paris, les Musée de Sèvres, de Lille, de Dijon, les musées de Berlin, de Dresde, de Leipzig et de Hambourg en Allemagne, de Saint-Petersbourg en Russie, de Copenhague et de Christiana au Danemark, d’Helsinki en Finlande et de Breslau en Pologne acquièrent des oeuvres de Taxile Doat pour leurs collections.
L'ouverture politique du Japon au reste du monde a suscité à partir des années 1870 un grand intérêt économiques et culturel en Europe. Cette vogue du « japonisme » a certainement influencé les travaux de Taxile Doat. Il se met en effet à concevoir des vases ou des gourdes en formes de courges, interprétations (et non copies de la nature) inspirées de modèles d'Asie orientale comme la calebasse ou la coloquinte. Au tournant du XXème siècle, ses expérimentations visent à combiner la porcelaine cuite avec le grès, en concevant de petits médaillons et de fins ornements caractéristiques qu’il va appliquer sur le corps de ses formes en grès, selon cette technique « pâte sur pâte » dont il passa maître, et qui fût très applaudie par ses contemporains. Ses contenants - le plus souvent de petits formats - comportent des motifs décoratifs inspirés de l'Antiquité et de la Renaissance, dans le style des camées : des visages en mascarons ou en profils, des décors d’Amours et de Nymphes fournissent prétextes à des décors de fines plaques de porcelaine savamment découpées pour épouser de façon structurée le volume parfois mouvementé des vases et coupes. Ces ornementations contrastées, élégantes et néo-classiques, ont joui dès l’époque de leur création d'une grande reconnaissance sur la scène internationale.
Les pâtes appliquées ou « rapportées » - selon ses termes - sont de petits bas-reliefs exécutés en porcelaine blanche liquide, qui s’appliquent sur les pièces de grès crues ou juste dégourdies (c’est-à-dire ayant subies un léger passage au feu) en couches minces et successives, ce qui permet à la pâte de sécher. Sur un fond de pâte légèrement coloré, on reporte le dessin d’un motif choisi avec de la pâte liquide, dont on retouche progressivement les différentes couches, après séchages successifs, avec des gradines de fer (des ciseaux de taille pour réaliser des creusements très fins). Après cuisson, cette pâte blanche translucide laisse apparaître le fond coloré (ici en vert céladon), plus ou moins selon l’épaisseur des couches de porcelaine. Un émail transparent recouvre ensuite les parties de porcelaine, les surfaces de grès restant mates après cuisson. La plus grande difficulté dans l’exécution d’une telle pièce est qu’il faut que que la couverte soit impeccable, sans craquelures ni tressaillures. Il faut donc que les coefficients de rétraction de la poterie et de sa couverte soient rigoureusement identiques. Taxile Doat a travaillé pendant sept ans avant d’arriver à composer des couvertes en accord avec ses pâtes, qui puissent avoir à la cuisson un retrait identique. Les deux matières se marient généralement mal (à cause de leurs taux de rétractions différents à la cuisson, qui provoque des craquelures), mais il y est finalement arrivé, autour de 1900.
L'artiste et entrepreneur verrier Louis Comfort Tiffany,(1848-1933), après sa visite de l'Exposition universelle de 1900, en fut émerveillé. Il fit part au collectionneur et marchand d'art international Samuel Bing de ses nouvelles découvertes parisiennes en matière de céramique. Tous deux décidèrent d'exposer à New-York une sélection d'œuvres de Pierre-Adrien Dalpayrat, Ernst Chaplet, Auguste Delaherche, Jean Carriès, Taxile Doat et d'autres artistes dans la galerie Tiffany de Manhattan. Parmi les vases « Sang de boeuf » et les grès émaillés mats de ses collègues artistes, les pièces de Taxile Doat, avec leurs délicats ornements « pâte sur pâte » attirèrent particulièrement l'attention de l'éditeur et mécène d'art américain Edward Gardner Lewis (1869-1950). Ce dernier put apprécier également le talent pédagogique de Doat, son réel désir de transmission de ses connaissances. En 1909, il le nomme directeur du nouveau département (Institut) de céramique à l'Académie des arts de Saint-Louis (Missouri), fondée trois ans plus tôt. L'objectif de l'éditeur était d'encourager la créativité artistique, en particulier celle des femmes, sous la direction d’artistes renommés en Europe. Mais ce qu’il concevait comme le premier institut céramique au monde ne dura hélas que jusqu’en 1915 : Lewis dut se déclarer en cessation de paiement et stoppa net ce projet ambitieux. Taxile Doat rentra en France et y poursuivit sa carrière. Il meurt à Sèvres en 1938.
Florence Slitine, dans son excellent ouvrage « La céramique d’art en Île-de-France. Ateliers et manufacture autour de Paris (1850-1950 (édition Mare et Martin, 2024, 668 p.) évoque dans sa notice détaillée consacrée à Taxile Doat à Sèvres (pp. 581 à 583), qu’en 1904, Baumgart, le directeur de la manufacture nationale de porcelaine, s'appuyant sur le règlement intérieur (Art. 3: « Il est interdit aux artistes, aux monteurs, aux tourneurs, aux repareurs etc. de travailler dans des établissements céramiques particuliers ») avait mis Doat en demeure de choisir entre son poste de production au sein de l’institution et son activité de créateur indépendant dans cette même ville, estimant qu’il y avait vis-vis de la manufacture une sorte de concurrence déloyale. « Aux avantages que lui procurait l'administration, Doat préféra l'indépendance et il demanda à être mis à la retraite en 1905. Quelques années plus tard, écrivant au directeur de la manufacture, il prit une revanche malicieuse, se posant en créateur et non en suiveur : « J’ai été surpris de voir des plateaux et assiettes absolument identiques de forme et de décor à ceux que j'ai depuis 6 à 7 ans répandus dans le monde de la céramique à chacun des Salons annuels [...]. Je suis flatté et presque orgueilleux de voir que l'une de mes plus chères créations [...] soit à ce point appréciée, qu'elle serve de guide à la brillante phalange d'artistes que vous administrez et dont la devise est « Innovare »… ».(Archives de la manufacture, dossier personnel.) Et Florence Slitine de mentionner encore que « Doat produisit des pièces très proches à la MNS et dans son atelier privé, ce qui compliqua ses relations avec la manufacture. Son talent y était certes reconnu et il bénéficia longtemps « de facilités et de libertés » qui le mirent dans une position paraît-il « unique et enviée ».
Notre modèle de vase-coloquinte est identique à celui conservé dans la collection du musée d’Orsay à Paris, sous le titre « Vase coloquinte à décor de médaillons » (n° d’inventaire : RFMOOAO2020-1-16). Le vase d’Orsay porte une inscription dans un cartouche sous la pièce « 7 1903 DOAT SEVRES » (H. 25,5 cm x Diam. 15 cm). Le nôtre porte ce même cartouche avec l’inscription « 22 1903 DOAT SEVRES ». Une variante du même modèle (avec un bouchon en forme de gousse) est conservé au Musée national de céramique à Sèvres (n° d’inventaire : MNC25001, hauteur avec prise 34,5 cm) Il porte un cartouche avec l’inscription « 10 1903 DOAT SEVRES ». Ces oeuvres - ainsi que bien d’autres oeuvres de Doat entrées dans les collections nationales françaises - sont visibles en photos sur le site internet « Les collections en ligne RMN (Réunion des Musées Nationaux). Le modèle au bouchon conservé à Sèvres a été présenté et publié au catalogue d’une exposition en Allemagne, intitulée Taxile Doat, Meister des « Grand Feu » . Die Sammlung Gerda Vedder», au Hetjens Museum de Dusseldorf, du 27 Février au 7 Septembre 2014. Par ailleurs, actuellement, aux Etats-Unis, un projet de grande rétrospective avec publication de référence sur Taxile Doat est en préparation (pour 2026-2027) au Wadsworth Atheneum Museum of Art de Hartford (Connecticut), sous le commissariat de sa conservatrice Mrs. Linda Roth. Ce grand musée américain possède un très bel ensemble d’oeuvres de notre artiste.
Taxile Doat signait les pièces réalisées dans son atelier privé : « TD » ou « TDOAT » (c’est le cas sur notre vase coloquinte), et il ajoutait le mot « Sèvres ». Notre vase provient de sa production personnelle d’atelier. Il est courant que ses pièces personnelles soient confondues avec ses production de la manufacture. Le flou (ou la négligence) va jusqu’aux descriptions succinctes des fiches numérique de ces modèles identiques conservés à Orsay et au musée de Sèvres, qui mentionnent comme lieu de création « manufacture de Sèvres ». C’est une erreur : Madame Tamara Préaud, conservatrice honoraire des archives de la manufacture nous a confirmé qu’il s’agissait bien d’une signature de production personnelle (dans son atelier de la rue Brancas, en 1903) et non d’une production de la manufacture.