Rudolf Maison 1854-1904

Wotan sur son trône, bronze partiellement doré, avec sa colonne d'origine
Signé sur la terrasse et marque de fondeur: GUSS MAYR OBERNDORF MUENCHEN
Vers 1900
H: 46,5 cm

Wotan on his throne, partially gilded bronze, with its original column
Signed on the base and founder's mark: GUSS MAYR OBERNDORF MUENCHEN
Circa 1900
H: 46,5 cm

 

 

Rudolf Maison (1854-1904) est un sculpteur allemand né à Ratisbonne (Regensburg) en Allemagne, où il commence ses études, qu’il poursuit ensuite à Munich. Son oeuvre s’inscrit dans la tradition romantique, avec la particularité de s’être détaché du l’esprit baroque classique pour s’orienter vers un naturalisme qu’il pousse plus loin que ses contemporains, ce qui lui a évité de tomber dans la froideur distante de l’académisme, en faveur à l’époque dans la sculpture allemande. Il a traité en sculpture des sujets peu conventionnels, ou plus habituellement traités dans le domaine de la peinture. Une véritable frénésie baroque, un exotisme recherché, de même qu’un défi aux lois de l’équilibre constituent les caractéristiques les plus saillantes de son style sculptural, très singulier dans son temps. La plupart de ses œuvres monumentales (dont un portrait du Kaiser Frederick I devant le Bode Museum de Berlin, une statue de l’Empereur Otto I devant le Reichstag, ainsi que des figures monumentales montées sur les combles de ce même bâtiment, n'ont pas survécu aux ravages de la seconde guerre mondiale. Rudolf Maison est mort à Munich en 1904, enterré dans le cimetière de Westfriedhof. « Rudolf Maison tiendra sa place dans l'histoire de la sculpture allemande du XIXe siècle » : C'est par ces mots que se termine la nécrologie du sculpteur allemand, parue en 1904 dans le Leipziger Illustrierte Zeitung, sous la plume du critique d’art Fritz von Ostini (reprise dans Kunstkronik N. F. 15 (1904), sp. 268-269). Ostini s’est quelque peu trompé dans cette conclusion de son article : bien que l’artiste ait compté parmi les sculpteurs les plus importants de son époque, sa personne et son œuvre sont ensuite tombées presque entièrement dans l'oubli.

 

Maison est un artiste rare sous bien des aspects ; dans les ouvrages de synthèse sur l'histoire de l'art du XIXème siècle, il est le plus souvent mentionné d’une manière marginale. L’historien de l’art allemand Dietrich Schubert a cependant publié, à la fin des années 1970, un essai visant à sa réhabilitation, qui déplorait le mauvais état de conservation de centaines de modèles en plâtre abandonnés dans un entrepôt de Regensburg, ville pour laquelle il a réalisé de nombreuses commandes monumentales. Il plaidait en faveur de leur appréciation en dépit des récupérations idéologiques et des aversions consécutives qu’elles avaient pu connaître. « Autant on devrait aujourd’hui - malgré tout l'intérêt que l'on porte à l'art officiel des années 1900 - porter un regard critique sur la sculpture de Rudolf Maison, autant il n'y a aucune raison de les laisser pourrir. Elles devraient constituer le cas rare d'héritage d'un sculpteur de la période de l’Empereur Guillaume Ier, encore conservé après deux guerres mondiales «. Un projet de thèse commencé à son initiative n'a jamais été achevé. Il est étonnant également que Rudolf Maison n'apparaisse qu'en marge de l'ouvrage de référence sur l'école de sculpture berlinoise « Ethos und Pathos », rédigé en 1990 (Ethos und Pathos : die Berliner Bildhauerschule, 1786-1914 : Beiträge mit Kurzbiographien Berliner Bildhauer) et qu'il soit complètement passé à la trappe parmi les biographies succinctes d’artistes complétant cet ouvrage. Rudolf Maison aura subi grandement le poids idéologique d’avoir été l’artiste le plus significatif du règne du premier Empereur allemand Guillaume 1er, avec son lot de critiques et d’aversions consécutives.

 

Ce n'est que récemment que Rudolf Maison a enfin été été reconnu et étudié : l’historien de l’art allemand Bernhard Maaz, dans son ouvrage sur la sculpture allemande du XIXe siècle (Die Skulptur in Deutschland zwischen Französischer Revolution und Erstem Weltkrieg) s’est enfin penché sur cet artiste et a accru soudainement sa notoriété auprès du public. En 2016, parait une ample monographie consacrée à  l’artiste : « Rudolf Maison (1854-1904) Regensburg - München - Berlin », publié par Karin Geiger et Sabine Tausch (Ed. Schnell Steiner) : il s’agit du catalogue d’une exposition « Rudolf Maison (1854-1904) - Sculpteur pour le roi, l'empereur et d'autres « amateurs d'art » qui s’est déroulée au Musée historique de la ville de Regensburg, du 18 septembre 2016 au 2 avril 2017. C’est dans cette dernière publication que nous avons trouvé l’essentiel de notre documentation concernant l’exceptionnelle sculpture en bronze « Wotan endormi », que je vous propose aujourd’hui à la vente. 

 

Dans les documents d’époque, (1902), on aperçoit fort bien le plâtre original du « Wotan endormi sur son trône » en bonne place dans l’atelier de l’artiste, situé sur Tizianstrasse à Munich. Avec son interprétation « saisissante et grandiose » - selon les termes du critique d’art Ostini - du dieu Wotan (autre nom de Odin, père des dieux nordique-germanique), Rudolf Maison a créé en 1900 le chef-d’oeuvre de sa fin de carrière. Cette sculpture, qu’il appréciait tout particulièrement lui-même, selon les dires de sa famille, reste durablement impressionnante dans le temps. Son Wotan est assis, pensif, sur un trône monumental et archaïque (le Hlidskjalf), qui lui offre une vue plongeante sur les mondes qu’il domine. Un disque solaire orne le haut dossier du trône, flanqué des corbeaux Hugin et Munin symbolisant la pensée et la mémoire - qui lui servent d’espions et d’éclaireurs : ces derniers lui racontent à l'oreille ce qu'ils ont vu des neuf mondes. Les bras de Wotan sont largement ouverts, reposant sur les accoudoirs. Sa particularité est qu’il est borgne. Il tient dans sa main droite la lance Gungnir abaissée vers le sol. Sa tête est inclinée vers le bas, son œil gauche (celui qui voit) regarde fixement l’horizon. Rudolf Maison n'a pas modelé un maître du monde au-dessus de tout, omnipotent et infaillible, mais un fataliste fatigué malgré ses forces physiques, courbé par ses tâches ; un sage humain avec des faiblesses - comme celui des œuvres musicales de Richard Wagner . C'est effectivement un personnage central de la tétralogie L’Anneau du Nibelung : sous la graphie « Wotan », il apparaît dans L’Or du Rhin, La Walkyrie et – sous le nom « Le Voyageur » – dans Siegfried. Le « Wotan » de Wagner, tout comme celui de Rudolf Maison, est résigné, reconnaissant et affirmant la culpabilité et la fatalité du “Crépuscule des dieux” ». Font évidentes références au créateur du Ring non seulement la mise en scène, mais aussi la désignation et l'orthographe « Wotan », sous laquelle la première version en bronze - un peu plus grande que celle que je vous propose aujourd’hui - avait été récompensée par une médaille d’or, en 1901, dans le cadre de la VIIIème Exposition internationale d’Art au Glaspalast, le « Palais des glaces » de Munich (un grand pavillon d’expositions aujourd’hui disparu.)

 

Le trône de Wotan, et plus particulièrement sa base, mérite d'être examiné de plus près : ses surfaces sont ornées d'entrelacs et d'incisions d'inspiration scandinave. La face avant du piédestal, encadrée par le serpent de Midgard, est ornée d'un bas-relief représentant le frêne mondial Yggdrasill et les Nornes (déesses de la mythologie scandinave qui déterminent le destin). Une inscription runique remplit l'espace des deux côtés. Les représentations d’Odin/Wotan sont rares au début du XXème siècle : on en retrouve principalement dans certaines illustrations de textes romantiques. Les réalisations en volumes sont encore plus rares. A Munich, il existait (depuis 1873), dans un « Jardin de Wotan » (Wotansgarten am Priel) une statue du père des dieux nordiques, réalisée par Heinrich Natter (1844-1892). Rudolf Maison avait certainement connaissance de cette sculpture, mais il en a fait une version totalement différente. À la même époque, un groupe monumental figurant Wotan trônant, réalisé par Friedrich Wilhelm Engelhard (1813-1902) fut installé à Hanovre en 1902. Reste à savoir si ces coïncidences temporelles sont dues au hasard… 

 

Le bronze original du « Wotan endormi » (de la taille du plâtre original, d’environ 1 mètre) a été conçu pour la Sagenhalle de Schreiberhau en Silésie (aujourd'hui Szklarska Poreba ,près de la frontière tchèque, une des plus populaires stations de ski en Pologne), une Salle des Légendes construite sur le versant nord des Monts des Géants par l’architecte Paul Engler, inaugurée le 30 mai 1903, mais détruite pendant la Seconde Guerre mondiale. S’y trouvaient illustrés les mythes de Wotan et de Rübezahl (géant fantastique du folklore allemand) grâce à diverses oeuvres d’arts de grands formats, parmi lesquelles huit tableaux de Hermann Hendrich (1854-1931), une statue de Rübezahl conçue par le sculpteur Hugo Schuchardt (1842-1927), ainsi que le Wotan endormi » de Rudolf Maison. Le grand bronze de Maison est depuis lors considéré comme perdu, sans doute détruit en même temps que le musée qui l’abritait. Ce qui reste du site est aujourd'hui la propriété de l'Université technique de Wroclaw en Pologne.

 

La sculpture originale en plâtre, arrivée au musée de Regensburg en 1913 grâce à la donation d'Emma Maison, a beaucoup souffert au fil du temps. La partie supérieure était brisée : lors de la préparation de l’exposition de 2017, le plâtre a pu être presque entièrement restauré grâce à des mesures de restauration complexes, auxquelles le catalogue monographique consacre un article  (pp. 93-97). 

 

Un autre moulage en plâtre du « Wotan endormi » aurait été envoyé au professeur Felix Dahn (1834-1912) à Königsberg, envoyé « comme cadeau pour son 70e anniversaire par des admirateurs à Leipzig » (Bunz 1904, p. 293). Juriste et historien, Dahn publia de nombreux écrits sur l'histoire et les mythes et légendes des Germains.

 

Une version unique en marbre de Sienne, d'une seule pièce (H. 1 m), sur socle en chêne (H.105 cm) a existé (Cf. Article : « Wodan » de Paul Schumann dans Leipziger Illustrierte Zeitung 1901, p. 808, avec illustration. (Voir également : Hugo Helbing (éd.) : Sculptures et peintures à l'huile de maîtres modernes : succession du professeur Rudolf Maison, Munich ; collection du banquier R. Molenaar, Berlin et autres biens ; vente aux enchères à Munich à la Galerie Helbing, 28 avril 1913 - Munich, 1913).

 

L'une des répliques en bronze de taille moyenne (telle que la nôtre) a été vendue aux enchères en 2002 à Johannesburg en Afrique du Sud sous le titre « Father Time », une autre en 2013 à New York - deux preuves de la diffusion mondiale de ces plus petites sculptures héroïques de Rudolf Maison.